A l’occasion de la clôture de la 11ème saison de l’Eco Innovation Factory, nous avons souhaité donner la parole à des anciens lauréats ainsi qu’à des chercheurs impliqués dans la transition écologique. 3 questions leur ont été posées par Anne-Marie MARTEL : Comment faire des produits industriels plus sobres ? Comment mieux gérer la terre dans le monde de la construction ? Comment le numérique peut-il être au service de la transition écologique ?
Quelles innovations et quelles technologies pour des industries plus sobres ?
avec Jean-Marc BENGUIGUI, enseignant à Centrale Nantes, et Anthony CAILLEAU, co-fondateur de FONTO de VIVO (Eco innovation Factory saison 6)
Quand la Low-Tech s’invite dans l’industrie…
Après 15 années d’expérience dans le monde industriel, Jean-Marc BENGUIGUI exerce aujourd’hui à l’école Centrale Nantes où il est notamment responsable des formations « Ingénierie de la transition écologique » et « Ingénierie des Low-Techs ». Ses enseignements se concentrent sur la démarche Low-Tech, l’économie circulaire, l’éco-conception, la comptabilité carbone et l’analyse du cycle de vie. Il défend la Low-Tech, terme qui est souvent associé à un objet mais qui en réalité définit plutôt une démarche ou un système. Selon Jean-Marc qui s’appuie sur des aanalyses de l’Ademe, une démarche Low-Tech doit répondre à plusieurs critères : l’utilité, la durabililité, l’accessibilité au plus grand nombre, l’autonomie de l’utilisateur (et donc sa réparabilité) ainsi que la proximité de la production. Contrairement aux idées reçues, il ne s’oppose pas forcément à la High-Tech. Anthony CAILLEAU parle plutôt de « Juste Tech », c’est-à-dire de la High-Tech juste nécessaire. Par exemple, FONTO de VIVO propose des filtres à eau dotés d’une membrane filtrante très performante intégrée dans une pompe manuelle très simple d’utilisation.
FONTO de VIVO, jeune entreprise créée en 2017 par David MONNIER et Anthony CAILLEAU, conçoit, assemble et distribue des filtres à eau qui fonctionnent sans électricité. Ces filtres éliminent les virus et bactéries, permettent de boire toute eau de surface et sont ainsi destinés à des populations qui n’ont pas accès à l’eau potable. FONTO de VIVO commercialise majoritairement ses pompes à eau auprès d’ONG, associations et collectivités présentes dans les pays en voie de développement. Pour Anthony, l’entreprise répond à plusieurs critères Low-Tech : l’utilité (l’accès à l’eau est un besoin primaire et universel), la durabilité et la limitation de l’impact, l’accessibilité au plus grand nombre et aux populations les plus isolées, l’autonomie. Concernant les lieux de production, FONTO de VIVO réfléchit à produire et assembler plus près de ses différents marchés.
Pour Jean-Marc, la démarche Low-Tech est un vrai moteur pour l’innovation car il s’agit de développer des produits sous contrainte (moins de poids, de pièce et de consommation, plus d’ergonomie et de réparabilité, …). Aujourd’hui les démarches Low-Tech sont reconnues par les investisseurs qui apprécient les valeurs défendues et voient des opportunités de développement économique. FONTO de VIVO a ainsi été soutenue par différents investisseurs dont les fonds d’investissement AVI du Crédit Agricole et Go Capital. Par ailleurs les Low-Tech s’appliquent à tous les domaines. L’école Centrale de Nantes collabore avec le Low-Tech Lab de Concarneau (initié à l’origine par Corentin de CHATELPERRON, ancien élève de l’Icam) et le navigateur Roland Jourdain qui équipe un catamaran de différents technologies Low-Tech. L’école Centrale travaille également sur la construction Low-Tech avec un projet de rénovation d’habitat rural. Enfin, un ancien étudiant de Centrale est parti faire une thèse sur la terre crue dans le bâtiment…. Cet exemple annonce fort à propos le thème suivant.
Quelles innovations pour l’intégration de matériaux naturels dans la construction et les travaux publics ?
avec Erwan HAMARD, chercheur à l’Université Gustave Eiffel et Nathaniel BEAUMAL. Fondateur de TERRA INNOVA (Eco Innovation Factory saison 5)
La terre n’est pas un déchet !
Erwan HAMARD est géologue de formation et mène à l’Université Gustave Eiffel des recherches sur les conditions et potentialités de la construction en terre crue. Pour Erwan, les matériaux du futur existent déjà, ce sont des matériaux naturels comme la terre crue.
TERRA INNOVA, créée en 2018, s’est donné pour mission la gestion des terres de chantier. Les terres d’excavation sont considérées comme des déchets dont il faut se débarrasser et ne sont donc pas valorisées. TERRA INNOVA se pose en intermédiaire entre les acteurs du BTP qui cherchent à se débarrasser de ces énormes quantités de terres et les agriculteurs qui peuvent les utiliser pour créer ou recréer des sols de culture. L’équipe de TERRA INNOVA analyse ces terres pour recréer des sols fertiles chez les agriculteurs et réaménager les territoires. Selon le principe de l’économie circulaire, elle transforme les déblais du BTP en véritables ressources pour l’agriculture et crée des sols et paysages résilients.
Erwan et Nathaniel utilisent donc la même matière, la terre d’excavation. Erwan défend l’idée de ne pas transporter la terre, mais si possible de l’utiliser sur place pour la construction de maisons en terre, grâce à la technique de la bauge. Il dialogue avec de nombreux architectes et maçons afin d’éduquer les acteurs de la construction. Il contribue à des guides de bonnes pratiques sur l’utilisation de la terre crue dans la construction, afin de lutter contre les idées reçues et convaincre du bien-fondé de cette technique.
Nathaniel doit également faire de la pédagogie car il rencontre des problèmes d’acceptabilité. « C’est très bien mais je ne veux pas de ça dans mon jardin » entend-il souvent. Il doit donc passer du temps à prouver l’impact positif et à convaincre. Afin de gagner en crédibilité, Terra Innova a recruté un jeune chercheur qui apporte aux agriculteurs des données objectives sur la qualité et l’efficacité de ce principe de régénération des sols. Nathaniel, tout comme Erwan, participe à des groupes de travail pour la valorisation des terres.
Ces exemples montrent que des solutions de transition écologique nécessitent de sensibiliser, d’éduquer et de convaincre. Le recours aux compétences des chercheurs permet de valider scientifiquement l’efficacité de méthodes innovantes.
Erwan et Nathaniel auront le même mot d’ordre pour conclure : « C’est possible ! N’ayez pas peur ! ».
IT for Green : Quels apports de l’innovation numérique pour la stratégie d’écologie intégrale portée par l’Icam ?
avec Gwenola KERGLONOU, responsables des Systèmes d’Information à l’Icam et Jeanne GRAZIANA, ingénieure Icam et cheffe de projet Climat et RSE chez TOOVALU (Eco Innovation Factory saison 2)
IT for Green et Green IT
Pour Gwenola KERGLONOU, l’écologie intégrale fait partie des valeurs fortes de l’Icam. C’est une conception de l’écologie qui intègre les aspects environnementaux, économiques, sociaux, culturels et les aspects de la vie quotidienne. Inséparable de la notion de bien commun, l’écologie intégrale cherche à limiter l’impact sur la planète et les hommes qui l’occupent. Le numérique est très impactant et c’est pourquoi l’Icam s’est impliqué depuis de nombreuses années dans des projets Green IT, c’est-à-dire qui visent à réduire l’empreinte écologique du numérique. EN 2012, l’Icam a travaillé avec les entreprises SIGMA et KALITERRE (devenue GREENSPECTOR) au sein du projet collaboratif régional Code Vert qui a permis de faire du développement logiciel plus responsable et moins gourmant en énergie. C’est un exemple des nombreuses collaborations entre l’Icam et les entreprises. Gwenola prend toujours beaucoup de plaisir à voir des travaux de recherche de l’école se transformer en innovations portées par les entreprises. La R&D infuse aussi l’enseignement et c’est un cercle vertueux au service des étudiants et des entreprises. En 2016, l’Icam a lancé le campus numérique qui offre un environnement virtualisé. Chercheurs, enseignants et étudiants peuvent ainsi, à tout instant et selon leurs besoins, accéder aux outils numériques (applications, machines de calcul, logiciels de simulation numérique, etc.) depuis n’importe où et depuis n’importe quel terminal. La puissance de calcul de tous les outils, très gourmands en ressources, est déportée sur les serveurs. Un travail minutieux de mesure et de collecte de data a permis de constater une économie de 72% d’émission de CO2.
Jeanne GRAZIANA, ingénieure Icam, a réalisé son stage de fin d’étude chez TOOVALU. Elle y assure aujourd’hui le rôle de cheffe de projet Climat et RSE. TOOVALU a été créée en 2012 par Marie GABORIT. TOOVALU utilise des outils numériques pour aider les entreprises à piloter leur démarche RSE. Cela consiste à mettre en place des outils de reporting, à collecter et analyser des datas, et ainsi à proposer des objectifs et des plans d’actions. TOOVALU fait ce qu’on appelle de l’IT for Green, du numérique au service de la transition écologique, comme de nombreuses autres entreprises à l’exemple GREENSPECTOR qui analyse et note l’impact écologique des sites web.
Si le numérique aide à mesurer nos impacts et accompagne la transition écologique, Gwenola et Jeanne ne manquent pas de rappeler qu’une certaine sobriété dans nos usages est nécessaire.